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C'est en 1995 que le premier impact manchot eût lieu ; il a fallu les compétences combinées d'Hideaki Anno et de Yoshiyuki Sadamoto pour créer le summum de l'animation japonaise, je veux bien entendu parler de Pen². Personnage secondaire voire même tertiaire mais pourtant essentiel à cette petite série confidentielle qu'est Neon Genesis Evangelion et dont je peux vous parler parce que j'ai mon permis, il est l'élément qui va réussir à relever le niveau général. Manchot qui se fait passer pour un pingouin d'eau chaude, Pen² se voit relégué au rôle de faire-valoir dans l'appartement de Misato : il est ainsi très souvent le personnage qui apporte humour et légèreté entre deux scènes graves occupées par des adolescents émos et des trentenaires névrosés. On comprend donc rapidement que tout le sous-texte de NGE va se retrouver dans les séquences où Pen² apparaît plutôt que dans la surface sinistre de la série similaire à l'ambiance d'un pays européen en 2011, et on ne peut qu'être épaté par le génie visionnaire de ses créateurs ayant su donner à un manchot un rôle à sa mesure. C'est pourquoi on retrouve en toute logique Pen² lors de la scène finale de la série : son statut de pilier est ainsi définitivement confirmé et on termine le visionnage le cœur léger mais pourtant rempli d'émotions.


La révolte est proche.

Hélas le grand public n'aura, comme d'habitude, pas compris les messages sous-jacents de la série et aura préféré porter son attention sur une rousse et une apathique en phase terminale, délaissant tous les thèmes et symboles et avec eux, Pen². Le poète manchot, qu'un Baudelaire n'aurait pas renié s'il l'avait connu, a dû alors replonger dans les profondeurs à défaut de continuer son ascension, et on ne l'a depuis revu que dans les récents films Rebuild de la franchise Evangelion, notamment dans une scène où Pen² tient un discours face à des congénères dans un aquarium, métaphore renversée magistrale du drame qui s'est déroulé il y a déjà une quinzaine d'années entre le manchot messianique et le public profane.

Mais il aura fallu attendre jusqu'à l'année 2011 pour revoir des manchots sur le devant de l'arrière-plan des nouveautés, dans la série Mawaru-Penguindrum réalisée par Kunihiko Ikuhara. Et je dois avouer que ledit Ikuhara a eu un sacré culot en mettant en scène non pas un, mais quatre manchots ! Ceux-ci servent de nouveau de faire-valoir aux personnages principaux et délivrent bon nombre de séquences humoristiques irrésistibles, mais ce n'est, une fois de plus avec ces merveilleux palmipèdes qui ne cessent de nous délivrer surprise sur surprise surtout pour toute personne sachant se pencher un instant sur leur petite stature, pas tout. Les manchots de MPD, prénommés #1, #2, #3 et Esmeralda (cette dernière en référence à Quasimodo D'El Paris), sont également porteurs de symboles, comme à peu près tout dans la série, et ils sont plus particulièrement les baromètres des émotions de leur propriétaire, chacun d'entre eux étant lié à un personnage principal. C'est ainsi qu'au lieu de laisser des scènes de dialogues où des plans sur les visages s'enchaînent, ou aller boire du saké avec son équipe pendant que le stagiaire assemble des morceaux de plans sans queue ni tête par dessus les paroles, Kunihiko Ikuhara a préféré mettre les manchots en situation où ils illustrent par leurs actions les propos de leur maître ; ces personnages à la base comiques qui seraient normalement cantonnés à faire diversion par rapport à l'action sont ici utiles à celle-ci, y participent, font partie de la dynamique tout en restant dans leur registre comique ; de plus, ils portent en eux le passé, le présent et le futur des personnages principaux, devenant un sujet d'études passionnant pour quiconque aimant se perdre dans la profondeur de leur regard.


Des symboles cachés


Les manchots sont donc porteurs de symboles dans MPD, mais ils sont aussi symboles eux-mêmes. La Princess of the Crystal porte un chapeau en forme de tête de manchot et l'étrange société Kiga liée avec Kanba et Masako a une tête de palmipède en tant que logo. Des boulettes décorées dudit logo font perdre la mémoire aux cibles qui les reçoivent de plein front, mettant en image la revanche amère des manchots contre tous ceux qui les ont trop vite oubliés pour laisser place à une waifu ou un triste penseur, les deux relevant du même niveau de futilité en comparaison de ces magnifiques oiseaux. Les manchots prennent donc enfin, en 2011, tous les plans et tous les niveaux de lecture d'une série animée, pour un résultat qui a réveillé de sa torpeur la production japonaise qui va devoir enfin regarder la vérité en face : il n'est plus possible de ne pas lier ambition avec manchot. Kunihiko Ikuhara a su avoir le nez fin et a misé à fond sur eux, et bien lui en a pris.


Il serait donc temps que l'animation japonaise accepte de donner une meilleur place aux manchots dans le paysage animé actuel, dans l'espoir que la poésie et la philosophie ait enfin un droit de cité au lieu d'un simple passeport. Je regardais encore il y a peu avec honte des séries animées sans âme ni message, mais le retour des manchots aura su insufflé de nouveau en moi la foi en ce média qui, je l'espère, saura continuer sur cette voie, notamment avec Anno et ses prochains films Evangelion qui devront faire la part belle à Pen² s'il ne veut pas être laissé sur la touche.