On ne présente plus la série Ken le survivant (Hokuto no Ken en vo), connue notamment par le biais de la version animée, doublée en France par les Grosses Têtes. Et c'est tout aussi bien, cela ne m'oblige pas à écrire un paragraphe racontant l'histoire. Ou alors, juste très succintemment : Ken est un mec qui se balade dans un monde post-apocalyptique, avec pour seuls guides ses poings et son coeur.

Et tu tapes, tapes, tapes...

Parlons de ses poings, d'abord. Ils sont forts, pour sûr. Ken est le dernier héritier en date du Hokuto Shinken, un kung fu qui fait mal : basé sur la connaissance des poings vitaux du corps humain, ce kung fu permet d'éclater des têtes, détruire des membres de l'intérieur ou faire rire (ultime) n'importe qui par une simple pression au bon endroit du corps. Au fil de la lecture, on découvrira d'ailleurs toujours un nouveau petit point vital avec lequel Ken ne nous a pas encore fait de démonstration, ce qui est fort divertissant à chaque nouvelle tuerie de notre héros. Et ce Hokuto Shinken est un outil idéal pour tout parfait tortionnaire, ce qu'est volontiers Ken. Mais on ne peut pas lui en vouloir, il en a tellement bavé au préalable qu'il faut bien qu'il se défoule un peu une fois son art de l'assassan assissan du zigouillage maîtrisé. Mais surtout, Ken a trouvé le bon credo pour ne pas qu'on lui casse trop les pieds sur ses actes : il se met du côté de la veuve et de l'orphelin. Etre un meurtrier, non ; être un justicier meurtrier, oui !

Ken met donc ses talents à la disposition de la vengeance, qui va prendre des formes diverses durant les vingt-sept tomes de Ken le survivant. Formes diverses, mais pourtant schéma de scène quasiment unique, qui se retrouve en moyenne deux fois par volume et qui se déroule ainsi :

1) début de la séquence, on voit des méchants qui martyrisent des gentils, à chaque fois de manière différente (ils semblent bêtes en apparence, mais ils manquent pas d'imagination, ces braves gars). Ils commencent par une démonstration de la dernière torture à la mode, qui se fait généralement sur un homme banal qui meurt dans d'atroces souffrances, puis ils se preparent à faire passer la personne suivante, généralement une femme, un enfant ou un vieillard. Le pathos fonctionne à fond les manettes, les voyants "PITIÉ" et "COLÈRE" sont au rouge et on n'attend plus qu'une chose : qu'un sauveur arrive !

2) c'est là que Ken débarque, l'air nonchalant, et qu'il stoppe la séance de torture. Il semble toujours calme, mais il ne faut pas s'y tromper : il est juste en train de réfléchir à quelle sauce il va cuisiner ses prochaines victimes. Une fois sa sélection faite (et il a un grand choix, le Hokuto Shinken étant l'hypermarché des techniques sadiques), il l'applique tout en gardant son air froid et distant pour cacher tant bien que mal son grand sourire intérieur. D'ailleurs, si Ken ouvre la bouche lors de l'exécution des barbares, il ne peut s'empêcher de lancer des petites piques d'humour toutes aussi cyniques que futiles, vu le peu de temps imparti aux méchants pour les apprécier. Ce sont d'ailleurs lesdites phrases qui ont forgé la popularité de Ken le survivant , de "tu ne le sais pas mais tu es déjà mort" à "il ne te reste plus que trois secondes à vivre", et ceci parce que ces phrases marquent parfaitement le sommet de la vengeance : punition+bon mot, on renverse la vapeur en transformant le bourreau intraitable en victime impuissante, comme le conseille le guide du parfait gentleman du Hokuto Shinken.

Ce schéma résume toute la mécanique derrière les histoires de Ken le survivant, avec néanmoins des variations pour ne pas ennuyer le lecteur : ainsi, ce sont parfois d'autres personnages qui s'occupent de faire régner l'ordre à la place de Ken ; ou lorsque notre héros part combattre un méchant très méchant, la période de torture des innocents est souvent étirée pour bien faire comprendre qu'en proportion, Ken va faire très très mal au tortionnaire du peuple et sa victoire n'en sera ainsi que plus salvatrice. Oeil pour oeil, dent pour dent et viscère pour viscère ; on attend toujours ainsi, au cours de la lecture, le moment où Ken viendra se défouler à notre place contre toutes les injustices.

... C'est ta façon d'aimer

Mais ce serait réducteur de se contenter de cet aspect de l'histoire, même si c'est celui qui est le plus mis en avant en général (comme je viens de le faire)(et merde). Parce que si Ken utilise ses poings, il sait aussi se servir de son coeur. Bien entendu, il ne faut pas être naïf : ceci est un leurre. Notre tueur en série parle effectivement beaucoup d'amour dans les quelques discours qu'il peut faire, mais c'est toujours pour mieux exploser le corps de son adversaire dans la seconde qui suit. Sous ses airs de grand pataud, Ken est aussi un malin : il a vite compris que l'amour est un secteur prometteur et surtout très flexible, et que coller une mandale tout en pleurant lui permettrait de se mettre dans la poche tous les biens pensants, bien plus coriaces que les mals pensants. Mais il reste un problème : pleurer tout seul lors d'un combat, c'est un peu passer pour une fillette ou un emo. Et là, Ken montre encore toute son ingéniosité : un coup sur les bons points vitaux, et son adversaire est obligé de pleurer aussi... Quel blagueur ! Je vous l'avais dit !

Puis au fil des combats, Ken va commencer à ressentir un étrange sentiment, méconnu jusqu'alors... De la mélancolie. Car il se rend bien compte que plus il tue d'adversaires, moins il en reste. Ou du moins, il le comprend après quelques bons massacres. Et tuer les femmes et les enfants, c'est moins drôle, surtout qu'ils pleurent déjà d'avance. Mais comme Ken est toujours plein de ressources et de calembours, il va utiliser cette tristesse dans ses combats, pour bien montrer qu'il en a gros sur la patate. Plus il avance dans son parcours ensanglanté, plus il s'attriste de devoir exploser ses meilleurs ennemis et plus il les fait chialer. Là où la vie est cruelle pour Ken, c'est que plus il les fait chialer, plus ils se font battre et plus leur nombre diminue. Un cercle vicieux. Il tentera bien d'en sortir en restant quelques temps à l'écart du monde, dans une cabane, à tailler des bouts de bois tout en écoutant une femme tousser constamment (situation parfaite pour conserver un esprit sain), mais il n'échappera pas à son tragique destin et repartira casser des crânes.

Toujours dans le domaine des sentiments-qui-font-pleurer, on peut noter que l'utilisation des flashbacks sur la vie passée des héros est très fréquente, voire même abusive arrivé à un stade de l'histoire. Un flashback, c'est parfait pour donner de l'épaisseur à un personnage, pour expliquer un point obscur de l'intrigue ou pour montrer du shota de Ken et ses potes. Mais il faut avouer que l'on en mange trop dans Ken le survivant, tellement trop qu'arrivé à un point, si l'on met bout à bout tous ces flashbacks, on se retrouve avec une histoire abracadabrantesque où les motivations des personnages changent plus selon les besoins du scénariste que selon la cohérence du récit. On apprend ainsi grâce à cette série que l'enfance est la source de beaucoup de psychoses adultes et que l'on devrait en enfermer certains bien avant 12 ans. Bref, tous ces retours en arrière plombent en partie le récit de mon point de vue, car ils contribuent involontairement à ridiculiser le scénario (qui n'est déjà pas extraordinaire à la base, mais bien suffisant pour un manga-bio sur la vie d'un tueur en série) par des rajouts narratifs (empiler au lieu d'aplanir, c'est mal) et des retournements psychologiques qui placent les personnages sous le signe de la girouette (probablement cousine éloignée de la grande ourse), rendant les enjeux de l'histoire peu crédibles.


Ken le survivant, c'est donc de la sueur, du sang et des larmes. Il y aurait encore beaucoup de choses à écrire sur le sujet, comme la galerie des psychopathes personnages, la condition féminine dans un univers post-apocalyptique ou le style immédiatement reconnaissable des dessins ; mais sans que je le sache encore, cet article est déjà fi--